Tiébilé Dramé, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali revient sur la crise sécuritaire qui menace l’ensemble de la sous-région. Après le retour de l’armée à Kidal, le G5 Sahel concentre ses efforts dans la « zone des trois frontières » et s’oriente sans grande conviction vers l’ouverture d’un dialogue avec les terroristes.
La Tribune Afrique – Comment évolue la stratégie du G5 Sahel (G5S) qui propose une réponse régionale à un défi transnational et dont les résultats sont régulièrement remis en question ?
Tiébilé Dramé – Le G5 Sahel résulte d’une volonté de mutualiser les efforts des pays du Sahel, aux niveaux militaire, diplomatique, mais aussi en termes de développement. Depuis mi-décembre à Niamey, nous avons décidé de concentrer nos efforts dans la zone dite des 3 frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui est le théâtre de prédilection de l’Etat islamique au grand Sahara, EIGS. Nos Etats vont y déployer des forces supplémentaires et la France a également pris des engagements le 13 janvier dernier, à l’occasion du Sommet de Pau [+ 500 soldats engagés portant leur nombre à 5100 dans le Sahel] […] Parallèlement, nous avons de nombreux partenaires internationaux dont l’Union européenne, les pays européens pris individuellement, les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, la Chine ou encore le Rwanda, qui nous apportent d’importantes contributions financières.
La Coalition militaire présentée à Pau permettra-t-elle un élargissement des forces conjointes à l’Algérie ou à d’autres acteurs africains?
Bien qu’une dizaine de pays européens, sollicités par nos Etats, aient décidé, dans le cadre de l’opération Takuba de déployer des forces spéciales, les pays africains peuvent y prendre toute leur place… Cette coalition comprend des volets consacrés à la sécurité, au développement et à la restauration de l’autorité de l’Etat dans les zones de conflits. D’ailleurs, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a décidé d’apporter une contribution financière de 100 millions de dollars immédiatement débloqués, le Rwanda a déjà apporté 1,5 million de dollars et plusieurs pays s’apprêtent à soutenir financièrement la lutte contre le terrorisme, dans le cadre de l’Union africaine.
Etes-vous en pourparlers avec la Russie très présente en Afrique en matière de sécurité, ou avec la Turquie qui est aujourd’hui engagée en Libye ?
Ce 25 février [cet entretien a été réalisé le 20 février, en marge du Forum de Bamako, ndlr] se tiendra un Sommet du G5 Sahel à Nouakchott, en Mauritanie. Ce sera l’occasion de passer en revue l’évolution de la situation et de dégager les perspectives d’avenir.
Quel regard portez-vous sur les récentes déclarations des Etats-Unis qui ont annoncé leur volonté de se désengager du Sahel ?
Nous souhaitons que la contribution des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme au Sahel se poursuive. Il est vrai qu’un certain nombre d’annonces ont été faites depuis Washington, mais nous espérons qu’ils ne mettront pas à exécution leurs déclarations.
Aujourd’hui, le dialogue avec les terroristes est avancé comme un axe de sortie de crise, y compris au sein de l’Union africaine (UA). Qu’est-ce qui explique ce revirement ?
Il s’agit d’une recommandation du dialogue national inclusif malien qui s’est tenu du 14 au 22 décembre derniers […] Tous les segments de la société malienne étaient représentés: les jeunes, les femmes, les syndicats, les partis politiques, les autorités coutumières ou les chefs religieux et les sociétés civiles de toutes natures, ont échangé pendant une semaine pour restaurer l’autorité de l’Etat et faire face au terrorisme. Ils sont arrivés avec plus d’une centaine de recommandations et le gouvernement a le devoir d’étudier leur faisabilité. Cette orientation sera donc examinée par le président de la République.
Quelle est la situation à Kidal, après la reconstitution de l’armée malienne ?
Depuis le 13 février dernier, les unités de l’armée reconstituée sont entrées dans Kidal, conformément à l’accord pour la paix et la réconciliation nationale signé en 2015 à Bamako. L’entrée des unités du 1er bataillon est une étape importante dans la mise en œuvre de cet accord. Le comité de suivi qui s’est tenu le 19 janvier dernier a validé le plan de déploiement de l’armée, dans le cadre d’un dialogue fécond avec les responsables des mouvements du nord. Les Maliens se parlent entre eux […] L’armée est de retour et le drapeau national flotte de nouveau à Kidal. Espérons que ce processus se poursuivra jusqu’à la réunification complète du pays et jusqu’à la stabilisation de ses frontières.
N’est-ce pas un vœu pieux, sans une stabilisation préalable de la situation en Libye ?
Bien entendu, car la Libye est l’une des sources des problèmes que traverse le Mali. Le 23 janvier, une réunion était organisée en Algérie pour étudier les différentes options de règlement de cette situation au niveau régional [les pays voisins de la Libye ont rejeté à Alger, l’ingérence étrangère dans ce pays en guerre, appelant les belligérants au dialogue]. Nous avons insisté sur le rôle que l’Union africaine devra jouer dans la gestion de cette crise. Nous devons rester déterminés.
Cette crise imputée à l’effondrement du régime de Kadhafi après l’intervention internationale de 2011, a provoqué une certaine défiance des populations régionales envers l’hexagone, notamment au Mali : quel regard portez-vous sur cet état de fait ?
En 2011, plusieurs puissances occidentales sont intervenues, pas uniquement la France. Aujourd’hui, tout un chacun doit mesurer les conséquences de ce qu’il s’est passé en Libye et il faut une mobilisation globale pour faire face à ces conséquences.
Propos recueillis par Marie-France Réveillard
Source : La Tribune Afrique