Universités publiques du MALI: 5 à 6 ans d’études pour avoir une licence qui ne garantit pas un emploi.

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Le constat est fait, nos universités publiques sont devenues un lieu de formation pour « chômeurs ». En plus de la détérioration du niveau d’études, les mauvaises conditions d’apprentissage, les fraudes, s’ajoute le cycle interminable pour avoir la « licence 3 » censée durée trois ans mais qui peut « séquestrer » les étudiants jusqu’à 5 à 6 ans. Voici donc les résultats de notre enquête.

Si l’avenir repose sur l’intelligentsia des jeunes d’aujourd’hui, il faut reconnaître que les conditions pour y parvenir ne sont pas réunies ou du moins pas adaptées aux réalités de notre société. Le système LMD (Licence, Master, Doctorat) a montré à plusieurs niveaux ses limites. Nous assistons à un « massacre » de nos étudiants dans les différentes universités publiques contre leur gré. Déjà, défavorisés par la qualité et les conditions d’apprentissage, les étudiants se voient vieillir dans les universités publiques et perdent espoir quant à ce qui concerne leur employabilité puisque le système qui les forme, ne les reconnaît pas lors des concours de la fonction publique ou bien l’âge est trop avancé pour y participer.

L’avènement du système LMD au Mali, un bébé mort-né

C’était lors d’un conseil des ministres du 24 décembre 2008 que le gouvernement en son temps dirigé par feu Amadou Toumani TOURE a adopté un projet de décret portant institution du système LMD à l’Université de Bamako. Ainsi, l’objectif était d’harmoniser nos formations universitaires avec celles des autres pays membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UÉMOA), qui avait plaidé à Dakar en 2007 pour une directive en faveur de l’introduction de ladite reforme dans la zone au plus tard le 31 décembre 2009. « Un ajustement qui, de la vision des dirigeants de la sous-région, favorisera la mobilité des étudiants et des enseignants, mais surtout permettra aux futurs diplômés de répondre au mieux aux besoins du marché du travail à travers des formations professionnalisantes et pointues ».

Dans le système LMD, la Licence (L) (bac + 3 ans) équivaut à 6 semestres après validation de 180 crédits, le Master (M), bac + 5 ans correspond à 4 semestres après la licence et après validation de 120 crédits et enfin le Doctorat (D), bac + 8 s’obtient aux termes de 6 semestres d’études après le master et après validation de 180 crédits. Le crédit est simplement l’unité de compte qui permet d’évaluer le travail de l’étudiant pendant le semestre pour chaque unité d’enseignement (UE) appelée dans nos universités unité de valeur et qui n’est autre que la matière.

Il faut savoir que ce système requiert des améliorations significatives d’ordre pédagogique, matériel, technique, etc.., de la part des professeurs, des étudiants, des pouvoirs publics, des partenaires techniques et financiers, entre autres.

Aussi, le système LMD exige d’abord une année universitaire pleine, or notre système éducatif connaissait différents problèmes à l’époque. Il s’agit de l’entassement des années universitaires et les nombreuses perturbations occasionnées par les différents acteurs de l’école, le manque d’infrastructures et les effectifs pléthoriques dans les amphithéâtres. N’oublions pas également le manque d’assiduité et la régularité des contrôles périodiques, l’accès aux outils informatiques qui pose également problème quand il y a un nombre minimal d’ordinateurs pour des dizaines de milliers d’étudiants. Les professeurs qui constituent le point névralgique du système LMD, devraient être au préalable mis dans les conditions idoines de travail et mieux outillés par des formations constantes. Et ce n’est pas un secret de polichinelle, les conditions ne sont pas à hauteur de souhait.

Rappelons que c’est  la faculté des sciences et techniques qui a été choisie comme faculté pilote, avec un début de généralisation prévu pour 2011.  Malgré les difficultés rencontrées au cours des trois premières années à la faculté des sciences et techniques, en raison de problèmes d’organisation et du non achèvement des années universitaires, la généralisation du système a commencé en 2011, avec la scission de l’Université de Bamako en quatre universités et celle de Ségou. Chacune applique le système LMD à sa manière : les années universitaires ne commencent et ne terminent jamais ensemble ni au même moment pour la même université.

Ce que pensent certains professeurs d’universités

De nombreuses difficultés de mise en œuvre du système LMD ont été relevées, notamment l’insuffisance d’enseignants, de matériels, de documents, de laboratoire, d’Internet, de formation, etc. Face à cette situation, les enseignants sont contraints à demander régulièrement de meilleures conditions de travail et cela à travers des grèves de plus en plus fréquentes dont la durée peut aller de 3 à 4 mois durant l’année scolaire.

Pour certains professeurs d’universités interrogés, ayant décidés de garder l’anonymat, « nous sommes toujours en phase d’essai quant à ce qui concerne le LMD ». Cela laisse entendre que l’Etat, les acteurs principaux de l’enseignement supérieur n’ont toujours pas trouvé la bonne formule ou du moins ne veulent pas l’appliquer. « Chaque année, on a deux à trois classes de première année qui ne débutent pas ensemble. Exemple : ceux qui ont BAC 2019 et BAC 2020, les deux font la première année, pour ceux qui ont le BAC 2021, on n’en parle même pas puisqu’ils vont également être en première année, mais la priorité serait d’évacuer les anciens d’abord qui devraient être en deuxième année » dixit un professeur de la Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage (FLSL). Ce retard dans certains département, comme l’Anglais et l’Arabe pouvait être évité si l’on en croit aux propos de M.Coulibaly. « On rencontre d’énormes difficultés dans le département Anglais et arabe, et pour y remédier, si j’étais le Doyen, je ferais en sorte de relâcher certains étudiants endettés à cause des matières qui ne leur serviront pas dans la vie professionnelle. Vous allez trouver certains étudiants endettés juste à cause d’une matière qui les contraints à rester dans la même classe alors que ladite matière souvent n’a pas d’importance.  Si on évacue ces cas, vous allez voir que le nombre va diminuer au niveau des premières et deuxièmes années, et ils pourront accueillir de nouveaux étudiants qui n’arrêtent pas de venir s’ajouter aux anciens ».

A ces difficultés s’ajoute la programmation des professeurs qu’il faut revoir. M. Maiga nous explique : « souvent quant on programme un professeur pour un module avec des heures bien définies et que cela coïncide avec les grèves, il est difficile de maintenir ce professeur, puisqu’il a d’autres programmations ailleurs. C’est pourquoi, dès fois les étudiants se plaignent de n’avoir pas vu leur professeur alors que le temps qu’il avait accordé pour eux est dépassé. Il faut encore reprogrammer, c’est tout cela qui perd du temps aux étudiants. Les grèves et le manque considérable de professeurs constituent la première cause de ce retard ».

Ainsi dit, nous avons l’impression que c’est le LMD qui doit s’adapter à l’enseignement supérieur public malien et non celui-ci au LMD. Il nous faut donc un LMD aux standards internationaux et non un LMD à la malienne. Ce qui nous a le plus étonné lors de notre passage dans les universités auprès des professeurs, c’est le témoignage de M.BALLO, professeur au département Lettres qui nous a affirmé qu’il « avait fait la première année avec un camarade à l’université publique, puis il est allé continuer ses études en Algérie. A son retour, quand il a commencé comme assistant auprès d’un professeur de la même faculté, il a croisé son camarade et il lui donnait des cours. Celui-ci a été pris au piège par le système LMD en cours de route. Il a été son maître de mémoire ». Voyez-vous cela, deux personnes de même parcours ayant commencé l’université ensemble, puis l’un se retrouve dans la posture d’enseignant et l’autre toujours sur le banc. Cela démontre la défaillance de l’Etat face à l’application de ce système tout simplement.

Le ras-le-bol des étudiants

Le système LMD (Licence – Master – Doctorat) qui était censé donner la possibilité aux étudiants de pouvoir faire des études universitaires jusqu’au cycle doctoral sur place, sans être obligés de partir à l’extérieur est devenu leurs pires cauchemars. L’absence de bibliothèque universitaire, de centres de ressources, les mauvaises conditions d’apprentissage, j’en passe, font qu’aujourd’hui, les universitaires sont devenus des « squatteurs légitimités et forcés ». Quant on les a tendus le micro, on pouvait voir toutes cette colère qu’ils gardent en eux.

D’emblée un des étudiants rien qu’à nous entendre poser la question de « l’impact du Système LMD sur les étudiants Maliens », nous montre la tasse dans laquelle ils (les étudiants) viennent de manger après avoir cotisé 200 F CFA à 300 F CFA par personne. Je cite « je vous montre cette tasse pour vous faire savoir qu’on a de la peine à se nourrir correctement sans s’aider les uns, les autres. Ce système LMD est fait pour les riches, car tout notre argent rentre dans les brochures, les forfaits internet, les transports, les frais d’hébergement etc.…ce qui me fait le plus mal, c’est qu’on nous retient ici pendant des années, alors que notre licence n’est même pas professionnelle ».

Et oui, le hic dans toute cette histoire c’est que la licence tant convoitée et qui fait perdre des années à nos étudiants, n’est même pas une licence professionnelle, il s’agit plutôt d’une licence de recherche. Autrement dit, ce diplôme ne peut pas offrir un emploi à son détenteur, celui-ci doit aller se spécialiser dans un domaine bien défini avant de prétendre à un emploi.  C’est pourquoi, les étudiants interrogés ont interpellé l’Etat, particulièrement leur département de tutelle. « Aujourd’hui, notre avenir est menacé, nous n’avons plus d’espoir car on n’a ni l’âge ni les moyens nécessaires pour continuer à étudier après la licence. Nous venons des familles pauvres et dire que jusqu’à présent, on n’arrive pas à transformer 5 F à 50 F grâce à ce que nous avons appris à l’école depuis plus de 15 ans, c’est très grave. Ce que nous pouvons dire à l’Etat, c’est de trouver une solution à ce problème de licence de recherche afin qu’elle soit professionnelle, même s’il va mettre le niveau à la catégorie B, c’est tout ce que nous demandons ».

Et les parents dans tout ça ?

Beaucoup de parents ont compris le système. Ils essayent de payer une deuxième université privée à leurs enfants, en plus de l’université publique. Quitte à y laisser tout leur sou et leur patrimoine. Beaucoup vont jusqu’à s’endetter. Selon eux, c’est de l’investissement. Cependant, ceux qui n’ont jusqu’alors pas compris le système pensent d’un côté que leurs enfants ne font que redoubler de classe, ou espèrent qu’ils vont trouver du boulot juste après avoir obtenu le fameux diplôme de Licence de recherche.

Les parents espèrent un avenir radieux pour leurs enfants, sauf que la réalisation de ce rêve dépend des décideurs qui n’ont jusque-là pas pris conscience.

Quelques solutions préconisées

Le système LMD n’apportera de résultat positif que si des moyens humains, matériels et financiers adéquats sont mobilisés. Pour ce faire, certains acteurs clés trouvent nécessaire de construire chaque année de nouvelles classes, la déconcentration de l’université publique c’est-à-dire rendre accessible les universités publiques dans toutes les régions du Mali, le recrutement massif et la formation des formateurs, l’adéquation de la formation aux offres d’emploi, l’amélioration des conditions de travail et d’apprentissage…

C’était là le fruit de notre enquête, on espère que les voies et moyens seront trouvés pour pallier ce problème si crucial pour l’avenir de toute une nation.

AFANOU Kadia DOUMBIA

Source : Malijet

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