La vie est hors de prix pour la grande majorité des Bamakois voire des Maliens. Une cherté qui ne s’explique pas seulement par la guerre Russie-Ukraine parce que la tendance à la hausse y est antérieure. Si on regarde la fourchette des prix des céréales, des légumes, des fruits… sur les deux dernières décennies, on se rend à l’évidence que les prix n’ont cessé de grimper en fonction de l’urbanisation galopante de la capitale.
Un œuf frais à 150 F Cfa, un petit morceau de savon à 250 F Cfa, un kilo de maïs à 450 et celui du riz importé au même prix… La viande est hors prix. Officiellement plafonné à 500 F Cfa, le kilo du sucre est vendu entre 600 et 750 F Cfa. Et depuis, mercredi dernier (8 juin 2022), le litre de supercarburant est passé de 762 à 811 F Cfa et celui du gasoil de 760 à 809 F Cfa.
Une hausse que l’Office national des produits pétroliers (ONAP) justifie par la hausse des cours mondiaux des produits pétroliers. Et comme un malheur vient rarement seul, les ménages ont appris le 7 juin dernier que l’Etat met fin à la subvention du gaz butane après 30 ans. C’est ainsi que la bouteille de 6 kg est désormais cédée à 6 360 F Cfa, celle du 12 kg à 12 500 F Cfa et la bouteille de 35 kg à 34 500 F Cfa.
Comme on le constate, les foyers démunis et sans grands revenus vivent un vrai cauchemar en ce moment. Si les crises sécuritaire et sanitaire (Covid-19) étaient indexées, il y a peu, de nos jours c’est l’embargo de la Cédéao et la crise entre la Russie et l’Ukraine qui sont avancés comme la cause de cette cherté. Ce n’est pas en partie faux.
La guerre russo-ukrainienne est venue compliquer une situation déjà insupportable. Pour un pays continental comme le nôtre qui importe l’essentiel de ses besoins, la hausse des prix des hydrocarbures a un impact indéniable sur le transport déjà sérieusement perturbé par l’embargo que la Cédéao et l’Uémoa nous ont imposé depuis le 9 janvier dernier.
Mais, force aussi est d’admettre que ces facteurs exogènes sont venus conforter une tendance existante. Sur les deux dernières décennies, on se rend à l’évidence que les prix n’ont cessé de grimper en fonction, de «la pression foncière», de l’urbanisation galopante de la capitale. Ce véritable fléau (sous la poussée souvent des prédateurs fonciers) a eu raison des maraîchers et de l’agriculture périurbaine.
L’ACI a privé Bamako de produits frais et moins chers en engloutissant les champs, les vergers et les potagers
«Combien de plantations de citrons, de mangues… avions nous autour de Bamako, il y a seulement 10 ans. Aujourd’hui ces vergers et champs ont laissé la place aux immeubles. C’est donc naturel que les prix augmentent parce que l’offre est limitée. Déjà la mangue se vend à l’unité à plus de 150 F. Qui l’aurait cru ?», rappelait fort pertinemment sur les réseaux sociaux M. Sidy Kéita, directeur général de «Mali Tourisme». Et de conclure, «le problème c’est donc nous-mêmes».
«Les prix des condiments, surtout des légumes, ont réellement commencé à grimper dans les marchés de la commune IV avec le lotissement de l’ex zone aéroportuaire de Hamdallaye (ACI 2000 qui était jadis l’une des zones les plus humides et les plus fertiles de la capitale) où on cultivait presque tout… Du maïs à l’arachide en passant par le gombo, le mil, le haricot, les tubercules… Sans compter les produits maraîchers en saison sèche», se rappelle Djénéba Doumbia, une vieille dame de Lafiabougou.
«Maintenant, il n’y a presque plus de potagers dans l’ACI 2000. Le béton a tout pris. Nos marchés sont approvisionnés via les villages périphériques et l’intérieur du pays. Le coût du transport et la cupidité des intermédiaires aidant, les prix des condiments ne peuvent pas être abordables. Tout comme ceux des céréales», a-t-elle poursuivi. «Le maïs et l’arachide frais sont en train de devenir un luxe pour les Bamakois. Tout comme les fruits. Même la simple menthe que nous mettons dans notre thé est cédée en petite quantité à un prix inimaginable il y a quelques années», déplore Adama Sidibé, un enseignant à la retraite.
«Les produits coûtent non seulement chers, mais ils sont sans saveur et ne se conservent pas longtemps parce qu’ils sont cueillis avant la maturation et n’arrivent plus sur les étales frais. Sans compter les effets de l’usage abusif des intrants», conclut Djénéba Doumbia.
Nous avions d’ailleurs écrit plusieurs articles sur cette menace, notamment les conséquences socio-économiques de la disparition des vergers et des maraîchers à Bamako et dans sa périphérie. Ils ont été sacrifiés sur l’autel de l’urbanisation sauvage dont ne profite d’ailleurs qu’une minorité nantie.
Nous savons tous que le maraîchage et l’agriculture périurbaine étaient une pratique très répandue dans notre capitale. Leur développement s’expliquait, selon des agronomes, par «la demande en fruits et légumes consécutive à la croissance de la population urbaine et à l’évolution des niveaux de vie et des habitudes alimentaires». Ces activités étaient aussi liées en partie à «la crise de l’emploi et la paupérisation des citadins» contribuant à accroître les superficies cultivées en ville et à augmenter le nombre d’employés maraîchers.
Malheureusement, ces dernières années, l’agriculture maraîchère a été remise en question par la poussée urbaine. L’extension des superficies construites (à vocation résidentielle, commerciale, administrative et industrielle) constitue une menace pour la survie du secteur voire pour son développement à terme. Et naturellement, selon des chercheurs, «la concurrence est défavorable au maraîchage. Ce qui a pour conséquence la réduction sensible ou la marginalisation des terres disponibles».
Des maraîchers victimes de «l’insécurité foncière»
En effet, l’agriculture maraîchère est reléguée dans les espaces inondables et à cause de cette marginalisation, elle est soumise à «une insécurité foncière» du fait de l’absence de bases juridiques et légales mais également du fait de l’occupation souvent illicite des terres…
«Le maraîchage n’a jamais bénéficié de bases juridiques ni de législations particulières autres que les textes qui régissent le régime des terres au Mali. L’occupation des parcelles et la formation des espaces maraîchers sont effectuées au gré de circonstances diverses et sur des domaines fonciers variés. Ceci expose les espaces maraîchers aux vicissitudes de l’urbanisation, laquelle privilégie les espaces à vocation résidentielle, administrative, industrielle ou commerciale», ont indiqué Dieudonné Zallé et Ousmane Maïga de l’Institut Supérieur de Formation à la Recherche Appliquée (ISFRA) dans une étude intitulée, «Zones inondables en milieu urbain : Conflits fonciers et concurrences pour l’espace maraîcher à Bamako». Selon eux, «la compétition entre l’agriculture et l’urbanisation tourne toujours en faveur de l’urbanisation par absence de législation spécifique et du peu d’intérêt accordé à l’agriculture dans les politiques de développement du secteur urbain».
Aujourd’hui, à cause du manque de vision des décideurs et de la corruption profitant aux spéculateurs fonciers, l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) a disparu dans notre capitale. Le béton l’a étouffé avec son potentiel qui permettait de stabiliser les prix des condiments et des céréales en assurant une part importante des besoins alimentaires des populations citadines. Et du coup, elle contribuait au développement économique et à la réduction de la pauvreté dans la capitale. Hélas, comme toujours, ce sont les ménages les plus démunis qui payent les pots cassés !
Moussa Bolly
Source : Le Matin