Porteurs d’uniforme, élus, célébrités de la musique, des sports et de la presse, hauts fonctionnaires… nombre de nos compatriotes s’arrogent le droit de circuler dans des véhicules qui n’ont fait l’objet d’aucune procédure de mise en consommation. Gare aux policiers ou aux douaniers qui osent les interpeller
Béret posé sur le tableau de bord, siège avant ostensiblement couvert par un uniforme dont les pattes d’épaulettes exhibent deux bandes verticales (indiquant le grade de lieutenant du porteur), Oumar (ce n’est pas son vrai nom) vient de garer son véhicule non immatriculé devant une salle de gym de la capitale. Les indices ont été mis en évidence par lui dans la voiture pour dissuader les agents chargés de la circulation de le siffler même si son automobile n’affiche comme immatriculation que les quatre premiers chiffres du numéro de châssis.
Oumar est loin d’être le seul porteur d’uniforme à se comporter de la sorte. Parmi ceux qui servent sous le drapeau, beaucoup utilisent ce passe-droit. Notre officier circule en toute tranquillité à bord de sa Toyota Corolla « Eto’o » qui n’empruntera certainement jamais la route menant à l’Office national des transports (ONT) du Mali, ni celle qui dirige vers des impôts. Notre homme n’envisage pas une régularisation qui concernerait la pose d’une plaque d’immatriculation ou l’acquisition d’une vignette.
Il serait cependant injuste de jeter la pierre au seul jeune officier. Sur les routes de la capitale et des grandes villes, cet incivisme lancinant des propriétaires de véhicules non dédouanés se retrouve aussi chez des magistrats, des élus… et même des journalistes. Comme en témoigne cet épisode survenu lors d’un mardi tout proche. Près du stade Mamadou Konaté, un reporter d’un journal de la place, sifflé par un policier alors qu’il téléphonait au volant, essaya d’intimider l’agent en exhibant sa carte de presse. La manœuvre s’avéra payante.
L’incivisme se popularise-t-il dans le pays, s’interrogent de nombreux compatriotes ? En tout cas sur nos routes, le mal s’enracine, la police et la douane se font déborder. Comme en témoigne sous le couvert de l’anonymat cet agent de la Compagnie de circulation routière. « Le pire est, nous fait-il savoir, que ces personnes laissent leurs femmes et leurs enfants adopter le même comportement. Le comble dans tout cela est que, quand on essaye de saisir le véhicule lors des contrôles, ces gens ne se gênent pas de nous faire remarquer qu’ils sont en position d’autorité. Ils nous demandent si nous n’avons pas prêté attention à leur macaron. Et si nous nous entêtons à faire notre travail, ils appellent la hiérarchie. Du coup, le chasseur devient le chassé.”
à la direction nationale des douanes, à la Compagnie de circulation routière, comme à l’ONT, on sent percer une inquiétante résignation, malgré de nombreux véhicules saisis.
DES PERTES DE RECETTES-Ce paradoxe se constate au guichet unique de dédouanement des véhicules à Bamako. Ici, la cour est encombrée par des véhicules non dédouanés qui affichent seulement CH suivi d’un numéro comme toute immatriculation. «Parmi leurs propriétaires, on compte un fort pourcentage de douaniers, de policiers, de gendarmes et d’élus », indique un officier des douanes. Il assure : « Aucune de ces voitures ne sortira d’ici sans une régularisation totale ». Mais d’aussi bonnes prises, les douaniers les réussissent en y laissant souvent des plumes. L’une des difficultés de ce travail, souligne notre interlocuteur, est la saisie des véhicules des porteurs d’uniforme qui se croient vraiment au-dessus de la loi. « Une fois, déplore-t-il, un colonel de la police a foncé sur un agent des douanes quand ce dernier a tenté de lui retirer la clef de sa voiture. Nous étions tous stupéfaits devant le comportement violent de cet officier. Malheureusement, des situations pareilles ne sont pas rares sur le terrain.”
Un autre douanier, qui assiste à notre échange, rapporte que sa voisine de quartier est une porteuse d’uniforme qui roule depuis belle lurette dans un véhicule non dédouané. Il s’est aventuré un jour à lui demander pourquoi elle ne se mettait pas en règle. La dame a paru étonnée par la question et elle lui a tout simplement rétorqué à quoi lui sert son uniforme si elle doit rouler en ville comme un citoyen lambda.
Source : Essor