Au Mali, certaines jeunes filles sont victimes de viol au sein de leur propre famille. Parfois, le coupable est un oncle ou un cousin. Malheureusement, dans ces cas, les victimes n’ont aucun recours, la famille faisant tout pour étouffer ce drame.
Le silence des jeunes filles victimes est souvent dû à la pression exercée par les parents pour ne pas ternir l’image de la famille. Ces victimes, par peur de l’opprobre, par culpabilité, se taisent.
F.T., une fille de 20 ans, a été abusée à 16 ans. « Mon oncle, le petit frère de ma mère, m’a violée. Quand je l’ai dit à ma mère, elle m’a défendu de le répéter à qui que ce soit, parce que mon oncle sera la risée de la famille. Deux mois plus tard, j’ai appris que j’étais enceinte. Toute la famille a commencé à se poser des questions. On m’a même frappée pour que je dise le nom du père, mais je ne pouvais pas parler. Ma mère me l’avait interdit. À l’accouchement j’ai eu des complications, et j’ai fini par accoucher par césarienne. Quelques jours plus tard, mon enfant est décédé. Mon oncle était toujours là libre comme s’il n’avait rien fait », raconte F.T., en larmes.
« Je ne pouvais pas lui permettre de parler. J’aurais été bannie de la famille et elle avec. En mettant son oncle en prison, les gens vont la voir comme la fille qui a mis son oncle en prison et non comme la victime d’un viol. J’étais très mal, mais dans nos traditions, il faut toujours soutenir sa famille quel que soit le prix », se défend la mère de F.T.
B.T. a 21 ans. « Je prenais ma douche et mon cousin m’a suivie. J’ai gardé le silence pour la première fois parce que j’étais tellement écœurée, dégoutée et choquée. Je n’en ai pas parlé malgré tout. A la seconde tentative, je suis restée tétanisée pendant un moment et puis je lui ai dit de sortir. Sa troisième et dernière fois, c’était en pleine journée. Cette fois-ci, des gens déjeunent dans la cour. Je suis sortie de la douche en criant le nom de ma maman. Je suis allée dire à ma mère de parler à mon cousin, parce que la prochaine fois, je ne me contrôlerai pas. Curieusement, plutôt que de prendre ma défense, ma mère a tout fait pour étouffer », raconte B.T. « C’est dans la famille. Il ne faudrait pas que ça aille devant la justice ou que les gens de dehors l’apprennent ». On a parlé avec le cousin. C’est tout.
Pour la psychologue Rokyatou Koné, « le viol détruit intérieurement. Il affecte physiquement, psychologiquement et fait perdre l’estime de soi. Pire, on se sent toujours coupable si c’est avec un proche, en nous disant si on s’était bien comporté cela ne se serait jamais produit. En effet, la société nous fait savoir que si on est violé c’est toujours de notre faute. Par exemple, une fille qui accepte de rentrer dans la chambre d’un cousin, un tonton ou un beau-père obligatoirement cette dernière est consentante de tout acte qui sera commis. Elle ne va jamais s’en remettre et se sentira toujours sale comme si une partie de sa vie lui avait été ôtée. Et, au lieu de lui mettre la pression pour qu’elle garde le silence, le mieux serait de l’aider à surmonter cette épreuve pour qu’elle puisse aller de l’avant et se construire une vie saine ».
Mohamed Abdellahi Elkhalil, sociologue, pense que c’est destructeur pour la jeune fille. « La fille violée par un membre de sa famille développe des troubles psychologiques qui peuvent la pousser à avoir certaines habitudes vis-à-vis des autres hommes, à être méchante, irascible… Elle aura des réactions qui vont l’étonner elle-même. Les sociétés ne sont pas les même mais toutes sont unanimes que le viol est un acte impardonnable. Dans les sociétés africaines traditionnelles, un homme qui commettait un viol quittait sa société à jamais ».
80333, le numéro vert pour dénoncer les VBG
Pour le Mali, qui sort d’un conflit armé multidimensionnel qui aurait duré plus de trois ans, 3330 cas de violences basées sur le genre, dont 321 cas de violences sexuelles, ont été recensés en 2013 par le Groupe sectoriel en charge et l’UNFPA. Opérationnel depuis mars 2014, le centre fournit des services d’accueil et de prise en charge pour les survivantes de violences basées sur le genre. Leur numéro vert est le 80333.
En somme, le viol au sein de la famille détruit. Le cercle familial est le premier lieu où on se sent en confiance et protégée. Normalement.
Nana Kéita
(stagiaire)
Source : Mali Tribune