Face aux grands défis de l’heure comme la paix et la justice sociale, les réformes institutionnelles, la réorganisation territoriale, il faut un dialogue et des concertations régulières entre toutes les couches de la société malienne, suggère le chercheur
L’Essor : Quelle est votre lecture des évènements sociopolitiques du pays, plusieurs semaines après la démission de l’ancien président de la République, Ibrahima Boubacar Keïta?
Dr étienne Fakaba Sissoko : La situation demeure toujours tendue sinon plus tendue. Depuis les évènements du 18 août, tous les regards semblent tournés vers la mise en place des organes de la Transition et la levée des sanctions de la Cedeao sur le Mali. Sur le processus de mise en place des organes de la Transition, le vendredi 25 septembre Bah N’Daw et Assimi Goïta ont prêté serment devant la Cour suprême. Cet évènement est intéressant à analyser sur deux plans : sur le plan protocolaire, le président et le vice-président ont tous les deux prêté serment et étaient assis sur le même alignement.
En principe, dans des circonstances solennelles de ce genre, le vice-président doit être toujours placé derrière le président au lieu d’être sur la même ligne que lui. Cette situation pourrait être interprétée comme l’absence de hiérarchie entre le président et son vice-président. En outre, le fait que celui-ci ait prêté serment au même titre que le président suscite de l’ambiguïté quant aux fonctions et missions du colonel Assimi Goïta. Face à cette situation, le risque que le militaire retraité Bah N’Daw joue de la figuration au lieu d’être un véritable chef d’État demeure plausible.
Sur le plan du discours, celui prononcé par le président de la Transition, juste après son investiture, a fixé le cap et dégagé en filigrane les priorités : la lutte contre la corruption ; la lutte contre l’impunité ; la sécurité ; la bonne gouvernance ; les malversations financières ; l’organisation des élections générales à des coûts raisonnables, etc.
Le ton annonçant ces priorités donnait l’impression d’un homme d’autorité et de principe. Néanmoins, le mystère qui entoure les prérogatives du tout nouveau président de la Transition entretient le doute quant à sa capacité à être dans les faits, l’homme d’autorité et de principe qu’il laisse paraître.
C’est dire que, de la complicité ou non du nouveau tandem N’Daw-Assimi dépendra la réussite de la Transition. Aussi, quel rôle jouera le nouveau Premier ministre dans un tel contexte ? Quelle sera sa marge de manœuvre dans le chantier de la refondation de l’État ?
Le dimanche 27 septembre, l’ancien ministre des Affaires étrangères Moctar Ouane a été nommé Premier ministre de la Transition par le tout nouveau chef de l’état Bah N’Daw. Ce choix se justifie par deux principaux éléments d’analyse : d’abord le « relatif consensus » qu’incarne Moctar Ouane en ce sens qu’il n’est partisan d’aucun parti politique et qu’il ne soit pas de la querelle qui oppose le CNSP au M5-RFP ont été des éléments déterminants dans sa nomination à la Primature. En outre, comme le soutient l’ancien Premier ministre Moussa Mara, la « souplesse » et la capacité à trouver « les bons mots face aux interlocuteurs », qui sont des atouts reconnus aux diplomates pourraient bien être utiles pour Moctar Ouane et pour le Mali.
Ensuite, il était surtout question de choisir un Premier ministre qui dispose d’un carnet d’adresses bien garni. Car l’embargo imposé par la Cedeao est un obstacle pour le Mali dans l’exercice de sa politique extérieure. Parce que qualifié de francophile par certains acteurs, l’enjeu de la nomination de Moctar Ouane peut aussi s’inscrire dans une optique d’avoir la bénédiction de la France, surtout, sur les problématiques de sécurité, et d’économie.
Ainsi, avec cet objectif, les militaires pourraient espérer avoir la confiance de la communauté sous-régionale et internationale vis-à-vis du Mali et de rétablir le contact entre notre pays et les institutions financières internationales. Toujours est-il, qu’au-delà, il devra batailler dur pour s’imposer afin de ne pas voir ses prérogatives usurpées par un vice-président en quête d’autorité.
Sur le maintien des sanctions de la Cedeao, l’investiture d’un président de la Transition et la nomination d’un Premier ministre civil n’ont pas suffi pour la junte de bénéficier de la levée des sanctions par l’organisation communautaire. Le maintien des sanctions par l’organisation sous-régionale s’explique d’une part, par la méfiance que la Cedeao se réserve à l’égard de la junte pour plusieurs raisons dont, entre autres, le maintien du poste de vice-président occupé par le président du CNSP Assimi Goïta et, aussi et surtout, le flou et l’ambigüité qui entouraient la Charte qui est considérée comme la feuille de route de la Transition, les tergiversations du CNSP à prononcer son autodissolution sont autant de raisons qui amènent l’organisation sous-régionale à s’interroger sur les ambitions politiques réelles de la junte et cristallise le manque de confiance qui existe déjà entre les deux protagonistes.
En tout état de cause, l’analyse de ces évènements démontre à suffisance l’immensité et l’acuité des défis auxquels notre pays est confronté et qui imposent aux pouvoirs publics, aux acteurs politiques et à la société civile, toutes obédiences confondues, la conjugaison de leurs énergies et intelligences pour sauver le Mali.
L’Essor : Le début de cette nouvelle ère connaît des difficultés du fait notamment de l’incompréhension entre certains acteurs du changement. étes-vous confiant quant aux chances de réussite de la Transition dont les organes se mettent progressivement en place ?
Source : L’essor