Mamadou Naman Keita, président de l’ONG association, solidarité pour le développement : « La paix peut ne pas attendre 3 ans si la régionalisation est actée dans notre constitution »

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Mamadou Naman Keita
Mamadou Naman Keita

Mamadou Naman Kéita, Ingénieur des Construction civiles, Haut fonctionnaire de l’Etat et Président de l’ONG Association, solidarité pour le Développement plus (ASSO+), qui œuvre surtout dans l’appui au développement local, décoré Officier de l’ordre national du Mali, nous parle de son expérience d’agent de développement, de la réalité du Mali profond, et des conditions de la refondation. Mamadou Naman Kéita, affectueusement appelé « Mamadou Naman » a du chemin. Son père, à la suite de la crise entre le Président Modibo Kéita et des commerçants (affaire Maraba Kassoum), s’exile au Sénégal, à Kaffrine où Mamadou Naman verra le jour. C’est en 1971, après le renversement du régime socialiste du Président Modibo Kéita, que la famille revient au Mali. Mamadou Naman fera ainsi l’école fondamentale à Hamdallaye Plateau, ensuite le Lycée Prosper Kamara avant l’Ecole nationale d’Ingénieurs (Eni) de Bamako. Il sort ingénieur en 1993, avec la mention Bien.

En janvier 1994, il commence la vie active dans un bureau d’études à la faveur de la création de l’Agetipe-Mali, appuyée par la banque mondiale et qui faisait la promotion de l’emploi et de l’entreprenariat privé, « La Malienne de l’ingénierie ». En 1995, il est recommandé par le directeur de l’Eni à l’entreprise française Hydro sahel qui voulait recruter un Ingénieur.

Après cette expérience, Mamadou Naman a continué avec l’Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP) et sur un Programme des Nations Unies basé à Mopti. A la fin de ce programme, il entre dans le cabinet d’architecte Modulor, chargé de la réalisation du Centre d’entraînement pour sportifs d’élites de Kabala.

Riche de toutes ses expériences, désormais chef de famille et voulant se stabiliser, il fait le concours d’entrée à la fonction publique en décembre 1999. Admis, il est mis à la disposition de la Direction nationale des Travaux Publics. A la fin de la période de stage probatoire, il est affecté à la Division Etude Générale et Programmation.

À la suite de la restructuration de la Direction nationale des Travaux Publics en Direction nationale des Routes, il évoluera au niveau de la nouvelle Division Etudes et Planification. Agent, il va gravir tous les échelons pour être Directeur national des Routes en avril 2015. Poste qu’il va occuper jusqu’en octobre 2020.

Avec ses expériences et le recul, il s’exprime sur ce qu’il faut pour le Mali nouveau. Entretien.

Mali-Tribune : Quels sont les domaines d’intervention de l’ONG ASSO+ et quelles sont vos zones ciblées ?

Mamadou Naman Kéita : Parallèlement à mes activités en tant que fonctionnaire d’État, étant donné qu’avant de venir dans la fonction publique, j’ai beaucoup évolué dans le privé et au niveau des projets des systèmes internationaux, j’ai eu l’idée de mettre en place une ONG. J’ai créé d’abord une association et après plusieurs années d’évolution, nous avons sollicité un Accord-cadre avec le gouvernement en 2017 pour nous transformer en une ONG, qui a un engagement clair et net avec le gouvernement.

Donc cette ONG, qui est dénommée Association Solidarité pour le Développement Plus (Asso +) évolue surtout dans le développement local et la solidarité comme son nom l’indique. A cet effet, il s’agit d’appuyer les Collectivités territoriales couvertes par les zones d’intervention de l’ONG à réussir leur développement.

Nous avons ciblé des zones de Kayes à Mopti parce que de toute façon, chaque ONG doit avoir des zones ciblées pour mieux impacter. Le siège d’ASSO+ est ici à Bamako. A ma qualité de Président, je n’évolue pas directement dans les activités, mais je contresigne les Conventions, protocoles et autres documents comptables. Il y’a un Secrétaire Exécutif pleinement opérationnel avec son staff pour mener les activités. L’ONG ASSO+ a une antenne à Karan pour couvrir la zone de Kangaba et une autre antenne à Mopti, qui couvre Mopti et une partie de la région de Ségou.

Aussi, pour une meilleure proximité avec certains de nos partenariats extérieurs, notamment européens, nous avons sollicité et obtenu un agrément de représentation de notre ONG auprès du gouvernement français en France. Nous avons donc une antenne en France agréée auprès des autorités françaises.

Pour le moment, dans l’appui au développement local, nous intervenons dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’hydraulique, de l’environnement, de la culture, du culte, de la prévention des conflits, mais aussi beaucoup dans l’appui aux femmes. Nous accompagnons beaucoup la scolarisation des jeunes filles, réalisons des plateformes multifonctionnelles pour les femmes, des centres de santé, des écoles et nous avons aussi une espérance extrêmement intéressante avec la Minusma notamment dans le cadre d’un partenariat qui concerne la prévention des conflits. Sur ce volet développement local, nous évoluons dans le cadre des partenariats qui sont conclus avec les Collectivités concernées.

Il y a aussi le côté philanthropique qui se rapporte à la question de solidarité. Jusqu’à la crise de la Covid-19, quasiment chaque année, nous envoyons 4 à 5 pèlerins à la Mecque.

Pendant les ramadans, nous faisons des dons aux communautés démunies. A l’occasion des fêtes de ramadan et de tabaski, nous offrons des viandes aux communautés démunies. Nous menons aussi beaucoup d’autres actions de solidarité.

Mali-Tribune : Que faites-vous dans le domaine de la lutte contre l’insécurité ?

M. N. K. : Avec la Minusma et aussi avec des organisations de la société civile, nous travaillons beaucoup plus à la prévention des conflits. Vous savez, c’est extrêmement important, il ne faut pas attendre que la crise sécuritaire soit là pour ensuite chercher à résoudre cette crise.

Par les activités que nous menons dans ce sens avec les populations, nous expliquons l’importance de la cohésion sociale, les risques qu’il y a dans les conflits. Nous intervenons donc plutôt dans la prévention de l’insécurité que dans la gestion même parce qu’une fois que la crise est là, ça devient difficile.

Mali-Tribune : Vous intervenez depuis longtemps maintenant dans le domaine du développement. Quels sont, selon vous, aujourd’hui les facteurs bloquant le développement du Mali ?

M. N. K. : A mon avis, et c’est extrêmement important, il faudrait que nous comprenions que le développement ne se parachute pas. Cette conception de la chose est un frein immense au développement. Les acteurs au niveau local attendent tout de là-haut, ça ne viendra jamais de là-, mais il faut avouer aussi que la décentralisation telle que nous la pratiquons est à repenser.

Je ne critique pas ce qui est fait, mais il faut avouer qu’il y a trop de faiblesses et c’est ça, qu’il faut repenser. Les acteurs du développement local à la base ne comprennent pas véritablement tous les enjeux qu’il y a et tous les mécanismes qu’ils ont en leur procession.

Certes, les élus doivent être des hommes intègres obligatoirement, ils doivent être des hommes qui requièrent la confiance de la population. Mais, parmi les gens qui ont ces qualités-là, il faut rechercher ceux qui ont un minimum de formation scolaire parce que sans cela on ne peut pas comprendre tous les mécanismes et tous les leviers que nous avons pour assurer le développement local. Ceci est un très gros handicap.

Quand tout un conseil municipal ne sait pas du tout quelles sont ses missions, quelles sont ses attributions cela pose problème. Or, c’est quasiment le cas de presque 90 % des collectivités. Ceci devient donc un handicap énorme et nous, quand on établit les conventions de partenariat avec les collectivités, nous essayons de leur faire comprendre tout ce qu’elles ont comme levier, tout ce qu’elles ont comme arsenal pour s’occuper de leur développement.

L’autre gros handicap qui plombe le développement local, est notre volonté trop souvent de calquer le modèle occidental de décentralisation. En occident, ils avaient bâti tous les socles nécessaires au développement local avant de faire la décentralisation. Or, au Mali, nous avons décentralisé sans véritablement disposer de socles nécessaires, de ressources…

On a légué aux collectivités des missions et attributions sans les moyens.

Mali-Tribune : Peut-on espérer, selon vous, le retour de la paix au Mali dans les deux trois années à venir ?

M.N. K. : Je vais être très franc sur cette question : Ça, c’est un message qui a été véhiculé depuis avant la chute du président ATT : « Le retour de la paix au Mali ne tient qu’au fait que la question de la régionalisation soit actée dans la Constitution du Mali ».

Moi, je ne donnerai pas plus de 9 mois au retour de la paix au Mali si la question de la régionalisation est actée dans notre Constitution. Pourquoi est-ce que nous les Maliens ne comprenons pas cela ? Moi franchement, je ne comprends pas non plus ce qui gêne dans cette question de régionalisation.

À mon avis, les autorités doivent travailler à fournir suffisamment d’explications aux populations pour les convaincre à accepter cette réforme majeure qui est quasiment la voie du retour de la paix dans notre pays. La régionalisation n’a jamais rien fait de mal nulle part. Au contraire comme j’ai déjà dit, le développement ne se parachute jamais. Autant nous aimons dire que personne ne viendra faire le développement du Mali à la place des Maliens, autant nous devrions comprendre qu’aucune autorité centrale du Mali n’ira faire le développement d’une collectivité, car ceci n’est pas possible.

Le développement doit passer de bas en haut et pour réussir à faire cela, la voie à suivre c’est cette régionalisation qui, de toutes les façons, va se faire je vous assure là aussi. Je vous dis ceci sans aucune langue de bois. Nous sommes en train de distraire nos finances publiques dans une approche de solution qui n’est simplement pas la bonne.

Il n’y a pas de guerre au Mali car la guerre c’est au moins entre deux pays !!! Il s’agit des problèmes avec des fils d’un même pays et ça, les armes ne solutionneront jamais. Quand on parle de la question d’insécurité, c’est d’abord un problème de conflit entre les fils d’un même pays. Moi, je n’accepterai jamais qu’on vienne me dire dans mon terroir de ne pas avoir des ambitions de le développer. Non ! C’est exactement les mêmes choses partout.

Il faut conjuguer toutes ces initiatives locales en accordant à toutes les régions cette liberté de définir les grandes lignes de leurs préoccupations afin d’arriver au développement. Donc, pour moi, le retour de la paix au Mali n’attendra même pas attendre trois ans si, cette question de régionalisation est actée dans notre Constitution dans cette phase de transition.

Mali-Tribune : Que faîtes-vous sur le terrain en tant qu’agent de développement pour alerter les autorités sur les facteurs qui peuvent amener des crises au Mali ?

M.N.K. : Pour ça je donne seulement un exemple récent pour illustrer. Pour la crise de transport qui a cours actuellement, j’ai estimé nécessaire de faire une contribution pour éviter une situation plus grave de crise qui pourrait surgir à la suite de cette petite crise que nous sommes en train de vivre en ce moment.

Nous faisons donc à chaque fois que de besoin des alertes aux autorités dans le cadre de notre stratégie de prévention des conflits. Il leur appartient de les apprécier comme elles veulent.

 Mali-Tribune : Qu’est-ce que les ONG offrent comme valeur ajoutée dans le domaine de l’intervention auprès des populations ?

M.N.K. : Les ONG travaillant avec l’approche participative procèdent véritablement à des transferts de compétences extrêmement importantes aux acteurs locaux de développement.

Le rôle des ONG, ce n’est pas d’aller chercher des projets et les amener dans une localité. Tout le processus d’identification de problème jusqu’à la réalisation de projet est fait de façon participative. L’autre chose importante que les interventions des ONG apportent aux collectivités, c’est qu’elles aident les acteurs locaux à aller vers les partenaires appropriés et à mieux expliquer leurs projets.

Au Mali, il y a énormément de partenaires potentiels qui évoluent mais, pour chacun de ces partenaires pris un à un, vous trouverez que tel intervient dans tel domaine et tel autre intervient dans un autre domaine. Les collectivités ne savent pas souvent tout ça, mais les ONG identifient bien pour chaque collectivité les partenaires cibles appropriés.

Mali-Tribune : Votre ONG a une bonne expérience sur le terrain, si vous devez faire un bilan d’accompagnement des populations, quels seraient selon vous les domaines sur lesquels il faut mettre l’accent ?

  1. N. K. : Il faut travailler beaucoup à la formation des acteurs à la base afin qu’ils comprennent tous les enjeux de la décentralisation. J’avoue que quand on dit des choses aux collectivités locales et aux populations qui relèvent pourtant de leurs missions ou attributions, ils disent simplement non parfois par ce qu’elles ne savent pas.

Il faut former les acteurs afin qu’ils puissent s’approprier véritablement toutes leurs missions et attributions pour que le développement local soit en marche. Sinon, on peut toujours amener des projets en identifiant un problème de centre de santé, de point d’eau et autres, s’il n y a pas l’appropriation c’est voué complètement à l’échec.

C’est ce volet qu’il faut plus renforcer à mon avis. Et ceci doit bénéficier de l’accompagnement de l’Etat parce que les partenaires ne sont pas sur cet angle, alors que ça représente un vide immense qu’il faut combler. C’est à ce niveau que c’est important que l’Etat fasse plus d’efforts pour que les acteurs du développement local soient pleinement formés dans le rôle de s’occuper du développement.

 

Mali-Tribune : Vous en tant qu’ONG, quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

  1. N. K.Avec la crise de la pandémie du Covid-19, les partenaires se font de plus en plus rares. Ils ont la volonté certes, mais, force est de reconnaître que la situation est difficile. Parfois, il y’a aussi la peur de ne pas être taxé de soutenir ou financer le djihadisme ou le terrorisme avec la situation qui prévaut dans notre pays. Nous, nous avons encore des partenaires, la Minusma qui est de plus en plus un partenaire stratégique pour nous, l’Agence française de Développement et ses structures de coopération décentralisées et beaucoup de donateurs anonymes que nous remercions très vivement tous. Mais, il faut avouer que les partenaires sont de plus en plus réticents.

 

Mali-Tribune : Quelles sont vos grandes réalisations surtout celles dont vous êtes le plus fiers ?

  1. N. K. : D’abord en tant que haut fonctionnaire de l’Etat et qui le demeure, je suis vraiment fier d’avoir participé à la réalisation de la quasi-totalité des grands projets de notre pays. Hormis le pont Fahd dont j’ai observé la construction en tant que stagiaire et le premier pont de Bamako, j’ai participé à l’ensemble des grandes réalisations d’infrastructures routières du Mali, à commencer par l’échangeur multiple au Rond-point de la Paix, le 3eme pont de Bamako, le pont de Koulikoro, les deux voix de la route de Bamako Koulikoro, la quasi transformation des villes de Kayes, Sikasso et Ségou et celle de Mopti qui vient de démarrer, et plusieurs autres routes et ponts à travers le pays. La liste est longue à énumérer.

Nous visions la transformation de nos villes et nous sommes en train de réussir. On ne peut pas tout faire en même temps. Les autorités de la Transition viennent de lancer récemment les travaux pour la transformation de la ville de Mopti et Sévaré, pour lesquels nous avions mis en place tous les éléments nécessaires à la réalisation de ce projet de transformation de la ville de Mopti et Sévaré. Réussir dans sa carrière, qui est loin de s’achever, à être acteur principal de toutes ces réalisations, en plus avec de nouveaux standards plus appropriés que nous avons pu imposer, même si les gens font une confusion entre les anciennes routes qui continuent de se dégrader et les nouvelles réalisations qui sont d’autres standards avec les routes qui étaient réalisées anciennement, ça fait énormément plaisir. Pour l’échangeur multiple, il y a une plaque sur laquelle sont inscrits les noms des principaux acteurs parmi lesquels je figure, quand je vois ça, je suis animé d’un sentiment de plus grande fierté.

Très sincèrement les plus grands motifs de fierté de tout ça, c’est la reconnaissance de nos efforts par les hautes autorités du Mali qui m’ont élevé au grade d’Officier de l’Ordre National du Mali, que je sais n’a pas été attribué par complaisance et le « Ciwara » qui m’a été attribué par le syndicat et tout le personnel de la Direction nationale des Routes le jour de ma passation de service à mon successeur à la tête de la Direction nationale des Routes. Je suis tellement fier de ces deux distinctions qu’elles couronnent de multiples distinctions aux niveaux national et international qui remplissent un mur de salon chez moi.

Les autres grandes réalisations qui me rendent fier sont toutes ces actions immenses de réalisation de points d’eau, de salles de classe, de centres de santé, de mosquées, d’appuis aux femmes et aux jeunes filles, ainsi que les multiples actions de philanthropie que Dieu m’a toujours permis de mener en faveur des démunies. Qu’il en soit remercié.

Propos recueillis par

Aminata Agaly Yattara

Source : Mali Tribune

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