Si le déploiement probable de Wagner au Mali est salué par une partie de la population malienne, sur la scène régionale et internationale, elle continue de cristalliser les relations entre Bamako, Niamey et Paris. Autre sujet qui fâche, c’est la prorogation de la Transition.
Y-a-t-il un accord entre Bamako et Wagner ? Faut-t-il proroger la transition ?
Mohamed Ag Assory, analyste politique et spécialiste des relations internationales non moins Directeur fondateur de Tidass Stratégies Consulting, livre son analyse.
Mali-Tribune : Ces derniers jours, la tension monte entre pro et anti-prorogation de la transition. En tant qu’analyste, faut-il prolonger la durée de la transition?
Mohamed Ag Assory : En toute objectivité, on peut dire que cette transition sera prolongée. C’est une évidence. On ne peut pas dire également que le temps imparti n’était pas suffisant, mais je dirais qu’il a été utilisé à mauvais escient. Nous sommes à 5-6 mois des échéances, jusque-là, il n’y a pas eu d’avancées majeures et le travail préalable. Par exemple pour les élections, il faut d’ores et déjà mettre en place les organes qui seront chargés d’organiser ces élections, les institutionnaliser et les opérationnaliser sur l’ensemble du territoire. Jusque-là, cela n’a pas été fait. Même si on a commencé avec le travail de la liste électorale, il y a beaucoup de choses qui n’ont pas été faite. Quand on parle de réforme constitutionnelle ça n’a pas commencé, c’est-à-dire on ne sait pas comment cette constitution sera rédigée ? Qui va la rédiger? Est-ce un comité ? Est-ce que ce comité a été mis en place ? Comité d’experts nationaux ? Nous avons de la ressource ici. Mais dans les discours, on se rend compte que les discours des autorités commencent à changer. Si au départ, depuis la transition Bah N’Daw elles ont été vraiment focus sur la transition, ce ne plus le cas. Actuellement on est en train de mettre en avant les Assises nationales et elles ne sont pas tenues encore et on n’a pas une idée exacte de quand elles auront lieu donc cette Transition sera prolongée. Maintenant il serait important de savoir quelle sera la position de la communauté internationale, la Cédéao a déjà donné le ton. Est-ce que la transition ne voudra pas également dire qu’il faut rééquilibrer la structure institutionnelle actuelle. Est-ce que c’est la même équipe gouvernementale ? Mais c’est tout à fait normal que cette question suscite une bipolarisation de la classe politique avec ceux qui sont contre la prorogation de la transition et ceux qui sont pour.
Mali-Tribune : Admettons qu’on ne proroge pas la transition. Est-ce qu’en 5 mois, nous pouvons organiser des élections générales libres et transparentes sur toute l’étendue du territoire ?
M A. A.: C’est techniquement possible et impossible aussi. Ça dépend dans quel sens, parce qu’aujourd’hui, organiser des élections, c’est vraiment un défi, mais l’autre défi, c’est comment organiser ces élections ? Malheureusement, avec le débat qu’il y a actuellement, c’est vraiment autour de qui va organiser les élections ? Et on se rend compte qu’une grande partie de la classe politique avec les partis très importants, nous avons la coalition des partis et coordinations politiques pour une transition réussie qui regroupe les grands partis du pays qui sont contre l’organisation des élections par un Organe unique de Gestion des Elections. Pour moi, si cette question était tranchée, on pouvait se prononcer si oui ou pas on pourrait organiser des élections en 5 mois. Mais maintenant si on n’a pas tous ces détails, il est très difficile de se prononcer là-dessus.
Mali-Tribune : Que pensez-vous de l’arrivée probable de la société privée russe Wagner au Mali?
M A. A. : Pour moi, ça reste dans le cadre d’une rumeur. Parce que depuis quelques mois, quelques années, on parle de l’intervention de la Russie au Mali. Mais ce qui paraît évident aujourd’hui, c’est que la Russie en tant que pays, les forces armées russes ne sont pas en tout cas prêtes à intervenir toute suite. C’est vraiment une évidence. Il n’y a aucun indice qui montre cela, peut-être du fait de la situation géopolitique, le Mali ne représente pas forcément un enjeu immédiat pour les Russes. Mais comme vous le dites, il y a quand même cette rumeur persistante du déploiement possible de Wagner.
Là encore je ne pense pas que cela aboutisse parce que vu le tollé que cela crée, vu les équilibres internationaux sinon régionaux de la situation au Mali, avec l’implication de plusieurs acteurs, et parmi ces acteurs-là, les principaux ont rejeté quand même cette possibilité-là, notamment les forces internationales françaises et les autres forces internationales comme certains pays du G5-Sahel, la Cédéao.
Tout cela est un indicateur pour dire que ce sera très difficile que cela se concrétise. Mais comme on est en politique, rien n’est impossible. On verra dans les prochains mois et jours. Mais jusque-là, ça reste quand même une rumeur qui reste persistante.
Mali-Tribune : La France et L’Allemagne ont déjà mis en garde les autorités maliennes de toute collaboration avec cette entreprise militaire russe. Si d’aventure, l’accord se concrétise entre Bamako et Wagner, pourrions-nous assister à une guerre par procuration entre Moscou et Paris?
M A. A.: La Russie a commencé une offensive diplomatique depuis quelques années, pour retrouver la place qu’avait l’URSS à l’époque. Que ce soit en Amérique du Sud, au Moyen-Orient ou en Afrique, elle est dans cet état d’esprit. Et de l’autre côté, nous voyons également la France et, le bloc occidental est en train de perdre du terrain, notamment en Afrique face à la concurrence des puissances émergentes comme la Chine, la Turquie et bien évidemment la Russie. Donc il y a déjà en réalité une guerre par procuration. Ce n’est pas une guerre avec des armées pour le moment, mais c’est vraiment une guerre idéologique, politique, médiatique qui dure depuis quelques années, l’après-guerre mondiale. Il y a une restructuration de l’ordre mondial avec la disparition de l’URSS, l’apparition des nouveaux acteurs et la réémergence de la Russie avec à sa tête Vladimir Poutine. Il y a vraiment une guerre d’influence entre le bloc de l’ouest et entre les puissances émergentes maintenant. Dans ce jeu-là, la France se retrouve en face à face avec la Russie. Nous avons déjà assisté à une manche en Centrafrique et ça continue. Récemment, on voit sur les réseaux sociaux, à travers certains activistes pro-russes et pro-français etc. Il y a déjà une guerre dans ce sens-là, mais ce n’est pas une confrontation en tant que telle.
Dans les réactions, on se rend compte que les pays de l’ouest sont en train de rejoindre la position de la France sur ce dossier Wagner. Il y a eu des déclarations similaires des différents pays européens, même si pour l’instant, les Américains ne se sont pas prononcés de façon publique et officielle sur la question, mais on sent quand même que le bloc occidental a la même vision sur ce que représente cette utilisation possible de Wagner qui a déjà été rapporté sur certains théâtres d’opération comme en Syrie, en Centrafrique en Ukraine où il y avait toujours cette confrontation entre les Russes et les occidentaux.
Cette guerre entre Paris et Moscou, Paris entouré des pays de l’ouest, est déjà en cours et ce qui se joue va au-delà uniquement de Paris. C’est tout le modèle occidental qui connait un revers. Quand on regarde ce qui se passe en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Centrafrique et au Mali aujourd’hui, c’est le modèle occidental même qui est défié par les puissances émergentes comme la Chine, la Turquie…
Mali-Tribune : Le ministre nigérien des Affaires étrangères a mis en garde les autorités maliennes de l’arrivée des mercenaires qui viennent dégrader la situation sécuritaire dans l’espace Cédéao. Ces propos ont créé une onde de choc jusqu’à la Primature. Comment expliquer de tels propos venant d’un pays frère ?
- A. A.: Aujourd’hui, la situation au Mali a un impact immédiat sur les pays voisins. Toute décision prise au Mali aura forcément des conséquences sur les pays du champ. C’est tout à fait logique que le Niger, qui a été également impacté par la situation malienne, puisse quand même réagir, parce qu’aujourd’hui, avec la globalisation et l’implication des différents acteurs dans la crise malienne et sahélienne, c’est tout à fait normal que les Etats voisins puissent faire part de leurs inquiétudes quant à l’utilisation de certaines méthodes, et l’utilisation même des mercenaires n’est pas quelque chose de reconnu dans le droit international. Je crois que c’est même condamné, c’est tout à fait normal. Maintenant, comment est-ce que les Nigériens ont réagi ? Est-ce qu’ils ont utilisé un ton diplomatique ? C’est un autre débat. Pour moi, je pense qu’à ce stade, c’est tout à fait normal que les Etats qui sont affectés et qui sont dans un même processus sécuritaire puissent avoir leurs points de vue quant aux stratégies utilisées çà et là.
Je crois que le gouvernement n’a pas apprécié les dernières sorties du Président nigérien, Mohamed Bazoum et de son ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou. C’est tout à fait normal en diplomatie comme dans les relations humaines ça arrive qu’on ne partage pas certains points de vue. Maintenant, est-ce que la réaction des autorités maliennes est aussi exempte de toute critique ? C’est un autre débat, mais je pense qu’il y a un petit malaise politique entre les nouvelles autorités de la Transition et les pays voisins. C’est un malaise politique qui va au-delà de la seule question de Wagner. Toute cette crise, c’est un peu à observer dans ce sens-là.
Mali-Tribune : Choguel K. Maïga vient de siffler ses 100 jours en tant que Premier ministre. Quel bilan pourrions-nous dresser ?
M A. A.: Je crois qu’il y a eu beaucoup d’annonces, de discours, d’interventions télévisées et des déclarations. Mais concrètement, il n’y a rien eu sur les grands chantiers de la transition. Par exemple jusqu’ici, après 100 jours, on n’a pas de détails sur l’Organe unique de Gestion des Elections. Comment cet organe va fonctionner et comment est-ce qu’il sera composé ? Comment est-ce que ses membres seront désignés ? Nous avons vu un document qui a circulé informellement, mais jusque-là, il n’y a aucune lisibilité claire. Quant à la stratégie sécuritaire, on est dans le statuquo, parce que la situation n’évolue pas positivement. Au contraire, c’est toujours la même situation à ce niveau-là. Sur la cherté de la vie, le panier de la ménagère souffre. Je pense que ces 100 jours ont été plus 100 jours de mots, 100 jours de discours, mais il n’y a pas eu d’actions notables, d’avancées. Et sur un autre point important, c’est surtout ces réformes politiques ; elles doivent être précédées d’un dialogue politique et malheureusement jusque-là, rien n’a été fait dans ce sens. Au contraire, il y a une cristallisation du débat politique. Il y a une polarisation de la scène politique entre les acteurs politiques. Je crois qu’il y a eu quand même dans d’autres domaines, par exemple la justice, où on sent que les acteurs judicaires sont en train d’essayer d’avancer sur certains dossiers, mais jusque-là, ça traine encore. Il y a eu certes des arrestations, mais au-delà des arrestations, il faut aller dans des procès, dans les fonds du dossier, il faut prendre la bête par ses cornes, comme on le dit.
Bien évidemment, on n’attendait pas de Choguel également des miracles, on ne l’attendait pas avec des baguettes magiques parce que la situation est vraiment compliquée et nous sommes dans une situation exceptionnelle qui n’est pas facilitée par la situation sécuritaire et internationale etc. Mais toujours, on attend de voir la suite surtout avoir ce détail. Il y a la réforme constitutionnelle, et comment cela va-t-il se faire ? On parle d’Assises nationales, jusque-là, il n’y a pas de lisibilité claire. On dit que les termes de reformes sont disponibles, mais ne sont publics. Il y a aussi la question du calendrier électoral. Le Premier ministre est dans des consultations. Il y a la crise de l’éducation, les examens se sont déroulés dans un contexte particulier, il y a toujours la grogne du personnel de l’éducation.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane