Fousseyni Maïga : «Faire du cinéma un pilier du développement économique»

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Pour les cinéphiles, le glorieux passé du cinéma malien évoque en eux des souvenirs agréables. Ils souhaitent de tout cœur que le 7è art malien retrouve ce lustre d’antan à travers des films, mais aussi des cinéastes qui ont fait de notre pays une grande nation de culture cinématographique.

Malheureusement, depuis quelques années, le secteur connait des difficultés. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec le nouveau directeur général du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM), Fousseyni Maïga, qui a fait le check-up du cinéma malien 

L’Essor : Votre nomination à la tête du cinéma malien a été largement commentée sur les réseaux sociaux comme étant un coup de pouce pour le 7è art. Quelle appréciation en faites-vous ? 

 Fousseyni Maïga : Permettez-moi tout d’abord d’adresser ma reconnaissance à toutes les personnes ayant commenté positivement ma nomination sur les réseaux sociaux. Je voudrais  également exprimer toute ma gratitude aux plus hautes autorités du pays, à travers le ministre en charge de la Culture, Andogoly Guindo. J’ai été agréablement touché par la motion de soutien de la Fédération nationale du cinéma et de l’audiovisuel du Mali (Fenacam) qui regroupe tous les corps de métier du cinéma et de l’audiovisuel.

Malgré des défis structurels auxquels le cinéma fait face, depuis plusieurs années, nous avons apporté notre modeste contribution au rayonnement du secteur à travers des productions régulières, le développement d’un nouveau modèle économique et une nouvelle offre cinématographique plus volontariste. Au-delà de nos ambitions,  nous avons  mesuré les attentes  de cette responsabilité. 

L’Essor : Le cinéma malien peine, depuis 20 ans, à se hisser au sommet des grands événements cinématographiques comme le Fespaco. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

 Fousseyni Maïga : Les brillants résultats engrangés par le cinéma malien en son temps étaient le fruit d’une série d’initiatives volontaristes entreprises par les plus hautes autorités du pays et plaçant le cinéma au cœur de la dynamique de construction d’une identité culturelle forte.

Cette volonté politique a permis la formation de nombreux cinéastes, et s’est traduite par la valorisation d’un marché avec l’ouverture de salles de cinéma dans presque toutes les agglomérations du pays. L’acquis le plus important à l’époque était le financement de la filière avec des guichets internationaux qui ont renforcé les moyens locaux mis à la disposition par l’État. Les résultats, naturellement, ont été à hauteur d’ambitions.

Hélas, depuis quelques années, notre pays brille par son absence.  Cette léthargie s’explique essentiellement par le manque de financement, mais aussi un déficit de structuration des différents corps de métier, le faible niveau des ressources humaines et bien entendu un manque de volonté politique.

Malgré cette faiblesse, les films  maliens sont bel et bien présentés au Fespaco. Ils concourent avec des films dont  le budget est 40  fois plus élevé que celui des nôtres. Il faut l’admettre aussi, les œuvres proposées par nos cinéastes ne sont pas très compétitives et ne bénéficient toujours pas du lobbying ou de la promotion nécessaires pour maximiser leurs chances.

L’Essor : De votre prise de fonction à nos jours, quelles ont été les grandes actions menées par le Cncm pour le réveil du cinéma malien ?

Fousseyni Maïga : Après trois mois d’activité, des résultats concrets ont été enregistrés sur tous les chantiers malgré la situation conjoncturelle du pays, marquée par le gel des crédits et les restrictions budgétaires. La première action a porté sur une série de consultations et de réflexions qui  nous ont permis d’écouter les acteurs et professionnels de la filière cinéma, de recueillir leurs attentes et d’analyser avec eux les pistes de solution pour la relance du secteur. Cela a permis d’élaborer un plan d’action stratégique qui couvre la période 2022-2024 et une proposition de relecture et d’adoption d’une  Politique nationale pour le cinéma.

 Aussi, cette réflexion a permis de faire des recommandations qui sont, entre autres, la gouvernance, la formation, la professionnalisation, l’augmentation substantielle et qualitative des productions et le développement d’un marché intérieur du cinéma. L’approche managériale a été repensée et orientée vers une gestion inclusive. Un système de gestion intégré a été initié au Cncm afin de  moraliser la gestion des ressources financières et d’augmenter substantiellement les recettes.

 Il faut également noter la relecture des contrats et une augmentation de 100% sur la masse salariale du personnel contractuel.  La Fenacam et l’ensemble des partenaires sociaux internes sont associés dans les prises de décisions et consultés pour les orientations stratégiques.

Le processus de la relance de la carte professionnelle, la structuration avec les organisations faîtières et la relecture des textes ont été déclenchés. Les programmes de formation, production et diffusion ont été lancés.  Pour la formation, «In pact cinéma» est un projet fédérateur qui forme  50 nouveaux talents dans tous les corps de métier du cinéma.

Ces derniers seront formés sur une période de 6 mois, accompagnés dans la réalisation de leurs premiers ou seconds projets, et coachés pour faciliter leur intégration dans les métiers du cinéma. Durant ce trimestre, 4 films dont 2 longs métrages fiction et documentaire.

Cette performance s’explique autant par la motivation du personnel.  Aussi, le Cncm a soutenu 10 projets de cinéma  qui  seront disponibles d’ici le 31 décembre prochain contre une moyenne de 2 à 3 projets par an. Pour le marché intérieur, nous avons acquis un financement pour les études de réhabilitation de 7 salles de cinéma dans  les localités de  Bamako, Kati, Ségou, Koulikoro, Markala, San et Mopti avant fin  2024.

L’Essor : Selon vous, quelles sont les difficultés qui plombent le 7è art dans notre pays ? 

Fousseyni Maïga : Depuis de nombreuses années, aucun dispositif de formation n’existe plus dans les métiers du cinéma. Les stages et opportunités ponctuels, ayant permis d’avoir des alternatives de formation pour la génération intermédiaire de cinéastes maliens, se font de plus en plus rares. Le déficit de productions locales, faute de financement, l’absence de structuration et  compétitivité des sociétés de productions nationales, l’inexistence d’une école spécialisée dans les métiers du cinéma sont autant de facteurs qui fragilisent le cinéma malien.  

L’Essor : Le Mali assure le secrétariat exécutif des directeurs des cinémas dans les pays de l’Union économique monétaire ouest africaine (Uemoa) à travers votre personne. Pouvez-vous nous restituer la vision de cette organisation ? Et qu’apportera-t-elle à notre cinéma surtout en cette période de vaches maigres ?

Fousseyni Maïga : Du 5 au 10 septembre dernier, s’est tenue à Abidjan une table ronde des directions en charge de la cinématographie dans l’espace Uemoa. Au cours de cette rencontre,   un  diagnostic du dispositif règlementaire et institutionnel dans les différents pays de l’organisation en vue d’évaluer l’état d’avancement de la transposition des directives de l’Uemoa sur l’image dans chaque pays et analysé les points de blocage.

Elle a été sanctionnée par plusieurs recommandations dont la mise en place d’un secrétariat exécutif, chargé de coordonner les actions des différentes directions en charge de la cinématographie de l’espace Uemoa. Le Mali, à l’unanimité, a été désigné pour diriger cette instance dont la mission principale est de jeter les bases d’une industrie cinématographique à l’échelle sous régionale et d’une mutualisation des ressources. 

L’Essor : Quelles sont les perspectives en cette période de résilience face aux multiples crises pour redorer le blason du cinéma malien ?

Fousseyni Maïga : Notre vision est de faire du cinéma un pilier du développement économique au Mali. Cela passe par la promotion de l’industrie cinématographique et des réformes structurelles dans le cadre de la professionnalisation de la filière.

L’ambition du Cncm dans un bref delai est de structurer les bases d’une industrie cinématographique tournée vers le futur, booster la production locale, promouvoir les corps de métier à travers la formation, développer le marché intérieur du cinéma. Mais aussi renforcer les partenariats et  les sources de financements. Enfin faire du cinéma un puissant vecteur de développement de notre pays.

Propos recueillis par

Amadou SOW

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