La diplomatie marocaine a remporté un succès diplomatique remarquable avec la reconnaissance par les Etats Unis d’Amérique de la marocanité du Sahara Occidental, qui pourrait provoquer un effet domino à l’échelle mondiale. Pour en comprendre les dessous et les contours, nous avons approché l’ambassadeur du royaume chérifien au Mali, S.E Hassan Naciri.
Le 10 décembre dernier, les Etats-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. A cet égard, le Pays de l’Oncle Sam a même adopté une nouvelle carte du Royaume intégrant le territoire en question. Mieux un consulat de ce pays a été ouvert à Dakhla. Que symbolise pour vous cette reconnaissance ?
S.E. H N : Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de m’adresser à vos lecteurs et à l’opinion. Pour répondre à votre question, rappelons d’abord que la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats Unis d’Amérique se situe dans le prolongement des positions exprimées par Washington par le passé et, ce, en soutenant, depuis 2007, l’initiative Marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara, sous la souveraineté marocaine. À aucun moment, les Administrations américaines successives, républicaines ou démocrates, n’ont eu à contester la marocanité du Sahara, y compris lorsqu’il s’agissait d’intégrer les provinces sahariennes dans certains programmes d’aides destinées au Royaume. C’est dire que les Etats Unis reconnaissaient implicitement, depuis près de quinze ans au moins, cette marocanité.
En somme, entre vos deux pays, on peut parler de constance dans les positions…
Exactement ! Cette position reflète la qualité des relations entre deux amis historiques, comme en témoignent quelques actes significatifs. En effet, le Maroc fut le premier pays à reconnaitre l’Indépendance des Etats Unis d’Amérique en 1777. Ce fut lui aussi qui abrita la première Légation américaine à l’étranger en 1821, dans la ville de Tanger, qui, de ce fait, devint la première propriété publique acquise par le gouvernement américain à l’Etranger.
La constance de nos relations a eu aussi comme conséquence l’octroi au Maroc, en 2004, du statut d’allié majeur des Etats Unis, hors OTAN, tout comme notre accord historique de libre-échange fut le premier du genre que Washington a signé, en 2004, avec un Etat africain. C’est aussi, sans doute, le lieu de mentionner les manœuvres militaires » African Lion « , menées conjointement au Sud du Maroc par les Forces Armées Royales et leurs homologues Américaines. Un exercice annuel, le plus grand du genre, en dehors des Etats Unis.
Comme vous le savez, le Maroc a inscrit la question du Sahara à la 24è Commission de l’ONU, en 1963, en vue de sa décolonisation et exerce pleinement sa souveraineté sur le territoire, depuis 1975, à la faveur de la Glorieuse Marche verte, initiée après avis consultatif de la Cour Internationale de Justice de la HAYE et l’Accord de Madrid de 1975. A la date d’aujourd’hui, plus de 165 Etats membres des Nations Unies ne reconnaissent pas les séparatistes. Vous le constatez donc, la reconnaissance américaine va dans le sens de l’histoire et participe de la consécration internationale de la marocanité du Sahara.
Par la même occasion, le Maroc a aussi emboîté le pas aux Emirats Arabes Unis, à Bahreïn et au Soudan, en devenant le quatrième pays arabe à annoncer officiellement la normalisation de ses relations diplomatiques avec Israël. Quel est l’objectif de cette démarche qui suscite un certain tollé?
À ma connaissance, la reprise des relations diplomatiques avec Israël, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’a suscité aucun tollé. Bien sûr, comme sur d’autres questions, il peut y avoir quelques points de vue réservés. Mais en cela, nous respectons le droit à la différence.
Le plus important à souligner est qu’il s’agit là d’une décision souveraine, fruit de longues tractations et d’un minutieux processus de maturation. Contrairement à certaines allégations, il serait réducteur et mal intentionné d’y voir un échange mercantiliste. Le Royaume Chérifien est un Etat millénaire, respectueux de ses paroles et de ses engagements.
Je vous rappelle que Sa Majesté le Roi Mohammed VI, immédiatement après avoir échangé avec le Président Donald Trump sur les annonces faites, s’est entretenu avec SEM Abou Mazine, Président de l’Autorité Nationale Palestinienne, pour le rassurer quant à la constance de notre position vis-à-vis de cette cause érigée en cause nationale au Maroc et dont les principes s’articulent autour de la solution concertée de deux Etats et la négociation pour le règlement des questions en suspens, notamment le statut de la ville sainte d’Alqods. Comme vous le constatez, il s’agit là de démarches inédites traduisant une diplomatie engagée et respectueuse de principes immuables.
Quant aux annonces faites à propos d’Israël, il y a lieu de préciser qu’il ne s’agit en fait que de reprise de relations qui ont déjà existé entre 1994 et 2002 et qui ont été rompues volontairement et souverainement en soutien à l’INTIFADA.
Enfin, il y a lieu de noter qu’environ un million de Marocains, de confession juive, vivent en Israël et entretiennent avec leur pays d’origine une relation extrêmement étroite. Une bonne dizaine de ces compatriotes sont membres du Gouvernement Israélien, d’autres sont au KNESSET et ailleurs. Du reste, nous sommes convaincus que la reprise de nos relations permettra à coup sûr de faciliter les négociations entre les deux parties.
Ces événements ont été précédés par une menace de rupture du cessez-le-feu instauré depuis 1991 avec une tension au niveau de la zone tampon administrée par l’ONU, au mois de novembre dernier. Que s’était-il passé au juste ?
Depuis le 24 octobre passé, des éléments du Polisario ont coupé le tronçon routier qui lie le Maroc et la Mauritanie, en transitant par la zone Tampon, créée en 1991 pour faciliter l’observation et le contrôle du cessez-le-feu. Cette route de quatre kilomètres environ constitue un axe principal des échanges intra-africains et entre l’Afrique et l’Europe, à travers le Maroc. Vous imaginez l’ampleur du blocage de centaines de camions, de voitures particulières, de personnes, de marchandises en ces temps de tension et de pandémie ? Le Maroc, après avoir informé l’ONU, responsable du cessez-le-feu et après avoir pris à témoin la Communauté Internationale, a assumé ses responsabilités en débloquant la situation et en rétablissant la liberté de circulation garantie par le droit international et les règles du bon voisinage. Je précise bien qu’il s’est agi d’une action ponctuelle et pacifique n’ayant entrainé, heureusement, aucune victime humaine.
Ces initiatives marocaines ne s’inscrivent-elles pas dans la nouvelle offensive diplomatique du Royaume, couronnée en 2017 par une réintégration dans les instances de l’Union Africaine plus de 30 ans après les avoir boycottées ? Et où en est-on avec la demande formulée par le Maroc d’adhérer à la CEDEAO ?
Nous sommes dans nos droits et la première obligation est bien de préserver ses droits, d’abord par des moyens pacifiques. Du reste, il s’agit de bonnes pratiques internationales œuvrant pour les solutions pacifiques, le bon voisinage et la coopération, mais aussi le partage et l’intégration régionale, Africaine en particulier. Quant à la CEDEAO, le Maroc a bien introduit sa demande et nos frères avaient donné leur accord de principe et étudient l’impact économique sur la sous-région. Nous restons convaincus qu’à l’ère de la ZLECAF et au lendemain de sa mise en œuvre, les approches concernant l’intégration africaine prendront un nouvel élan.
Dans cette optique, le Royaume s’est engagé avec le Nigéria pour mettre en place un gazoduc qui reliera tous les pays de l’Afrique de l’Ouest au Maroc et à l’Europe. C’est un projet hautement stratégique et structurant qui ouvre la voie à une intégration bénéfique pour toute la région.
C’est dans ce sens que des experts de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont recommandé, le 10 décembre, à Ouagadougou, la fusion du projet de Gazoduc Nigeria-Maroc (Morocco Gas Pipeline en anglais, NMGP) et le Projet d’extension du réseau de gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (West African Gas Pipeline Expansion Project, en anglais, Wagpep).
Où en sont les relations entre le Maroc et le Mali ?
Pour répondre à cette question, il n’est pas inutile de rappeler la profondeur historique de cette relation qui lui confère une singularité certaine. Dans ce sillage, on peut rappeler les récits de l’explorateur marocain Ibn BATTOUTA sur Tombouctou et GAO, au 14è siècle et les écrits de Al-Hassan Ben Mohammed AL-WAZZAN (Léon l’Africain), au 16è siècle, dans son célèbre ouvrage » Description de l’Afrique« , qui constitue la source la plus importante sur l’Afrique soudanaise, notamment le Royaume Songhaï. Sur le plan diplomatique, nous continuons à nous engager dans des démarches inédites traduisant une diplomatie engagée et respectueuse de principes immuables.
Comme aimait le dire un ancien chef de la diplomatie malienne » nous sommes deux vieux pays « Pour étayer cette affirmation, rappelons que, parmi les Ambassades anciennes reçues par le Maroc, celle de l’Empire du Mali, sous le règne de Mansa Moussa.
Comment ne pas évoquer le fait que nos ancêtres avaient eu l’honneur et le privilège d’avoir introduit l’Islam sur cette terre africaine durant le 11è siècle ? Je n’omettrai pas de rappeler que la ville d’Essaouira (Mogador) s’appelait le port de Tombouctou, lorsqu’elle jouait le rôle principal du commerce entre le Mali et l’Europe !
Toutes ces interactions ont conduit à des brassages humains qui sont omniprésents au sein de nos populations respectives.
Depuis l’indépendance, notre relation a connu un développement sans cesse croissant à travers, côté marocain, l’apport de trois Rois successifs : Feu le Roi Mohammed V, qui a établi une alliance stratégique avec Feu Modibo Keita, cristallisée à travers le groupe de Casablanca de 1961, prélude à la création de l’OUA.
Poursuivant dans cette voie, Feu Roi Hassan II, qui s’est rendu à Bamako, en 1963, a initié un partenariat économique maroco-malien, notamment dans le domaine de la finance et de la banque. Le défunt Souverain est aussi le précurseur et le Maitre de l’idée de « l’exception malienne » .
Depuis l’avènement du Roi Mohammed VI, ces relations ont connu un essor considérable à la faveur de ses deux visites historiques au Mali, en 2013 et 2014.
Ces interactions, à un niveau très élevé, ont permis de métamorphoser nos relations bilatérales, en enrichissant l’arsenal juridique par une série d’accords et conventions qui ont été, à leur tour, étoffés en 2018, lors de la visite au Maroc de l’ancien Premier ministre, M. Soumeylou Boubèye Maïga et de l’ancien ministre des Affaires Etrangères, M. Tiéman Hubert Coulibaly.
Durant ces dernières années, des opérateurs économiques de deux pays ont profité de ce climat d’affaires propice pour saisir les opportunités offertes au Maroc et au Mali. De même, les partenariats, mis en place, continuent à prospérer au grand bonheur des deux peuples frères. Enfin, je voudrais signaler que le Royaume participe activement, et souvent dans la discrétion, à l’apaisement de la situation au Mali, comme ce fut le cas lors de la crise sociopolitique de 2019-2020 et après les événements du 20 août dernier.
A titre de rappel, M. le Ministre des Affaires Étrangères, Nasser BOURITA, a été dépêché au Mali, en tant qu’Emissaire de Sa Majesté le Roi auprès de SE Bah N’DAW, Président de la transition, Chef de l’Etat, dès les premières heures pour apporter son soutien et son accompagnement à la transition et espérer que cette période pourra être mise à profit pour aller de l’avant dans les réformes prioritaires et les actions réalisables à mener.
Propos recueillis par Saouti Haïdara
Source : L’Indépendant