Une mauvaise gouvernance et une mauvaise hiérarchisation des priorités plombent les résultats du pays, estime le chercheur et ancien conseiller économique de la présidence.
Le Mali a enregistré en 2020 une récession de 2 %, imputée en partie à la crise sécuritaire et aux conséquences de la pandémie de Covid-19 qui ont ébranlé toutes les économies à travers le monde. Mais pour Étienne Fakaba Sissoko, au Mali, la crise économique est surtout inhérente à une crise de gouvernance.
Professeur d’économie à l’université de Bamako, chercheur au Centre de recherche, d’analyses politiques, économiques et sociales (Crapes Mali) et ancien conseiller économique à la présidence, Étienne Fakaba Sissoko estime qu’une gestion plus vertueuse des finances publiques et une révision des priorités permettraient, notamment, de relancer les activités d’une industrie textile moribonde, de récupérer une part des bénéfices de l’exploitation aurifère, jusqu’à présent principalement tournés vers l’extérieur, et de faire revenir les investisseurs étrangers.
Jeune Afrique : Sur quels leviers l’économie malienne peut-elle s’appuyer pour relancer la croissance ?
Étienne Fakaba Sissoko : Malheureusement, le Mali n’a pas de réelle politique économique, mais une politique budgétaire sur laquelle s’appuient l’ensemble des initiatives économiques et de développement du pays.
En mars, il a adopté une loi de Finances qui met l’accent sur la mise en œuvre de l’accord de paix, la lutte contre le coronavirus ou encore le retour de l’administration dans le nord et centre du pays. Aucun de ces objectifs ne permet de créer de la richesse. Pas de grands travaux, de grandes infrastructures, ni de réel soutien aux entreprises.
Par manque de moyens…
Le budget de l’État est davantage alloué au fonctionnement qu’à l’investissement. Les dépenses prévisionnelles de 2021 s’élèvent à 2 628 milliards de F CFA [un peu plus de 4 milliards euros], dont seulement 677,32 milliards alloués à l’investissement. Sans rééquilibrage, nous sommes voués une économie déficitaire ; on prévoit un déficit budgétaire de 652,92 milliards de F CFA en 2021.
Cette année, l’État compte notamment sur l’agriculture pour atteindre un taux de croissance de 4 %. Pour cela, il mise sur une pluviométrie favorable. Mais l’essentiel d’une économie ne peut pas reposer sur un facteur comme la pluie, qui ne dépend ni de l’État ni des partenaires ! Les priorités du gouvernement ne sont pas celles de l’économie malienne. L’accord pour la paix et la réconciliation est important, la lutte contre la pandémie également, mais ce n’est pas cela qui mettra du riz dans l’assiette des Maliens.
Mettre la priorité sur l’aspect sécuritaire n’est-il pas un préalable indispensable à tout investissement ?
Il faut effectivement un minimum de sécurité, sans quoi les investisseurs se retirent. Mais nous devons être capables de rendre le Mali attrayant au-delà de cela.
Certains pays comme le Rwanda ou la Côte d’Ivoire ont connu des crises aussi importantes que la nôtre, si ce n’est pire, et ont su redonner confiance aux investisseurs, notamment à travers des modèles de gouvernance plus vertueux. Le principal problème du Mali c’est le visage qu’il offre, notamment en matière de gouvernance et d’instabilité politique.
TANT QUE LE MALI NE TRANSFORMERA PAS SES MATIÈRES PREMIÈRES, IL SERA PERDANT
Vous faites référence au coup d’État du 18 août 2020 ?
La mauvaise gouvernance et l’instabilité sont des maux antérieurs au coup d’État. Ce genre d’événement est toujours facteur de recul démocratique et n’est pas de nature à rassurer les partenaires. Mais, plus que le fait sécuritaire, c’est la mauvaise gouvernance, les démarches administratives longues et coûteuses ou encore la corruption qui font partir les investisseurs.
Ces derniers ne se sont pas tous retirés pour autant et le départ de certains acteurs européens a laissé davantage de place à de nouveaux partenariats, avec la Chine ou la Turquie notamment…
L’avantage de ces partenariats est qu’ils n’exigent pas de retours sur investissement énormes qui pénalisent le pays, comme c’est le cas avec les partenaires traditionnels. Pour l’instant du moins. Cependant, l’important n’est pas tant de savoir avec qui nous commerçons, mais plutôt d’identifier les secteurs sur lesquels nous commerçons.
Secteur phare, le coton est à la peine. Le pays n’a transformé que 2 % des 700 000 tonnes de coton-graine produites lors de la campagne 2019-2020 – production qui devrait chuter à moins de 150 000 t pour la campagne 2020-2021 (selon le PR-Pica). Comment relancer la filière ?
Tant que le Mali ne transformera pas ses matières premières, il sera perdant. Actuellement, nous n’exportons que de la matière non transformée et nous sommes un déversoir de produits manufacturés ailleurs. Aujourd’hui, je porte une chemise manufacturée au Burkina Faso… Comment est-ce possible alors que nous produisons du coton ? Il faut replacer le Made in Mali au cœur des politiques publiques.
Pour cela il faut des entreprises performantes. Or, l’avenir de la Comatex, ex-fleuron de l’industrie textile malienne, est incertain…
Il est de la responsabilité de l’État de prendre en charge ce secteur. La transformation du coton, c’est de l’huile, du tissu, du savon… Des milliers d’emplois possibles. On a laissé ce secteur aux mains de quelques actionnaires et aujourd’hui l’activité est au point mort. L’État doit s’emparer de ce secteur et le gérer correctement.
Autre levier important de l’économie malienne : la filière aurifère. N’échappe-t-elle pas elle aussi en partie à l’État ?
En effet, la quantité d’or qui sort du pays n’est absolument pas maîtrisée par les autorités. Cette industrie représente plus de 20 % du PIB et doit être mise au centre des activités économiques. Pour l’heure, ce secteur est porté par les multinationales et l’État n’est actionnaire que pour moins de 20 %, ce qui ne lui permet pas d’en tirer profit.
IL FAUT INTÉGRER LA COMPOSANTE SÉCURITAIRE COMME UNE VARIABLE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE PLUTÔT QUE D’ATTENDRE LE RETOUR DE LA PAIX
Faut-il revoir les contrats en cours ?
Il faut le faire, au nom de la souveraineté nationale. Quand les contrats ont été signés, le pays ne faisait pas face à la menace sécuritaire actuelle. Le commerce (qui représente 16 % du PIB) ne connaissait pas les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui, avec la fermeture de certaines frontières ou l’impossibilité de s’approvisionner sur certains marchés.
Ce sont autant d’arguments qui justifieraient de réviser les contrats en cours. Il ne s’agit pas d’engager un bras de fer avec les multinationales, mais d’entamer un dialogue franc.
La compagnie aérienne Sky Mali rouvre plusieurs lignes vers le Centre et le nord du pays et en février, lors d’une visite à Tombouctou, la ministre du Tourisme a déclaré qu’une reprise progressive du tourisme était possible. Cela vous semble-t-il réaliste ?
La culture malienne devrait être l’un des piliers de l’économie, afin de créer de l’emploi, de favoriser le rayonnement du pays et promouvoir les biens de consommations locaux. Et la menace sécuritaire ne concerne pas l’entièreté du pays. Les régions de Sikasso, de Kayes et de Bamako dans le Sud, par exemple, ont un réel potentiel.
De manière générale, il faut intégrer la composante sécuritaire comme une variable du modèle économique plutôt que d’attendre le retour de la paix pour relancer le tourisme. Aujourd’hui, on décrète que la priorité dans le Centre ou le Nord, c’est le retour de l’État, l’application de l’accord de paix. C’est un très mauvais calcul. Le temps que ce soit fait, les populations mourront de faim.
Interview réalisée par Manon Laplace
Source : Jeune Afrique