Pour le chef d’état-major, l’ONU au Mali “ne peut, à elle seule, restaurer la sécurité”

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Des Casques bleus de la Minusma sur la route entre Mopti et Djenné, dans le centre du Mali
Des Casques bleus de la Minusma sur la route entre Mopti et Djenné, dans le centre du Mali

La mission de l’ONU au Mali (Minusma) a perdu huit Casques bleus début décembre, victimes d’attaques aux engins explosifs. France 24 fait le point sur cette opération de maintien de la paix, engagée depuis 2013, aujourd’hui considérée comme la plus dangereuse au monde. Entretien avec le chef d’état-major Philippe Pottier.

Les Casques bleus de la mission de paix des Nations unies au Mali (Minusma) sont à nouveau endeuillés. Sept d’entre eux ont été tués mercredi 8 décembre par un engin explosif dans le centre du pays. La veille, un membre de la mission onusienne avait déjà péri de ses blessures à Dakar, après avoir lui aussi été touché par une explosion le 22 novembre dans le nord du Mali.

Déployée en juillet 2013, sept mois après le début de l’opération française contre les jihadistes dans le nord du Mali, la Minusma, qui compte quelque 11 000 militaires, 2 000 policiers ainsi que des équipes civiles de terrain, a notamment pour mission d’accompagner l’application de l’accord de paix de 2015, la restauration de l’autorité de l’État et la protection des civils.

Mais avec la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, la mission onusienne a essuyé de lourdes pertes depuis sa création : plus de 150 de ses membres ont été tués par des actes hostiles, selon les statistiques de l’ONU.

Pour mieux comprendre les difficultés des Casques bleus sur le terrain, France 24 s’est entretenu avec le général de brigade Philippe Pottier, chef d’état-major de la Force de la Minusma.

France 24 : Depuis sa création, la Minusma a été visée par de nombreuses attaques et a enregistré un nombre record de pertes humaines. Comment expliquer ce lourd bilan ?  

Général de brigade Philippe Pottier : Nous évoluons dans un contexte de guerre asymétrique, imposée par les jihadistes. Le plus souvent, ils nous visent avec des engins explosifs dissimulés ou avec des tirs d’artillerie puis se sauvent. Ces tirs dits “de harcèlement”, qui durent généralement une dizaine de minutes, créent un effet de surprise et rendent la riposte très difficile puisque les assaillants quittent rapidement la zone.

Ces attaques indirectes constituent 90 % des assauts auxquels sont confrontées nos troupes. Mais nous devons parfois faire face à des assauts directs, comme le 20 janvier dernier contre notre base d’Aguelhoc, au nord de la région de Kidal, qui, bien qu’il ait coûté la vie à 10 Casques bleus, a tourné à notre avantage.

D’autres missions de l’ONU sont confrontées à des attaques indirectes de par le monde. Mais elles sont au Mali d’une ampleur inédite et occasionnent de lourdes pertes dans nos rangs.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour mieux protéger vos effectifs sur le terrain ?  

Ce sujet fait l’objet d’une réflexion permanente. À chaque attaque, nous tentons d’adapter notre dispositif pour limiter les risques. À titre d’exemple, la sécurité du camp d’Aguelhoc a été significativement renforcée depuis l’attaque. Nous avons récemment doté le bataillon de mini-drones d’observation présents dans tous les camps pour surveiller les abords de nos bases et déceler les attaques en amont.

Nous menons par ailleurs un gros travail avec nos unités d’escorte, lors de nos déplacements en convoi, pour repérer et détruire les engins explosifs dissimulés qui occasionnent la grande majorité de nos pertes humaines. Nous parvenons aujourd’hui à découvrir environ 70 % de ces engins.

Mais si ce travail permet d’atténuer la menace, la guerre se joue à deux et notre ennemi s’adapte également en multipliant les attaques. Entre 2020 et 2021, le nombre d’incidents liés aux engins explosifs improvisés recensés dans le pays est passé de 158 à 226.

La Minusma doit également protéger les civils contre la menace jihadiste, comment cette mission s’articule-t-elle sur le terrain ?  

La Minusma ne peut, à elle seule, restaurer la sécurité au Mali et notre rôle n’est pas de remplacer l’armée malienne. Nous agissons en appui de l’armée nationale lors de ses opérations et organisons pour eux des opérations de rapatriement sanitaires lorsque c’est nécessaire. Pour autant, la Minusma bénéficie d’un mandat robuste qui va au-delà de celui d’une mission de la paix classique. Il nous autorise à prendre des mesures proactives en particulier pour la protection des civils.

Notre mandat comprend le respect de l’accord de paix [signé en 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad NDLR], or tous les groupes armés ne l’ont pas signé. Nous sommes donc considérés comme une cible privilégiée par les groupes qui y sont opposés.

La situation est encore plus compliquée dans le centre, où il n’y a pas d’accord de paix et où nous faisons face à des violences liées aux jihadistes mais également aux conflits ethniques ainsi qu’au banditisme. Nous essayons de multiplier les patrouilles dans les zones qui font objet d’attaques récurrentes, comme c’est le cas actuellement entre Mopti et Bandiagara.

Notre présence a un effet dissuasif pour les jihadistes qui préfèrent généralement nous éviter. C’est pourquoi ils multiplient les attaques sur les axes routiers afin de réduire notre présence et notre liberté d’action dans les villages dont ils tentent de prendre le contrôle.

Nous enregistrons parfois des succès, comme à Ogossagou, où nous sommes parvenus à sécuriser la zone et avons engagé des discussions entre communautés rivales qui ont permis la signature d’un accord de paix en octobre.

Mais malgré nos efforts, il faut reconnaître que la situation générale se dégrade pour les civils dans le centre. Alors que les jihadistes s’en prenaient jusqu’ici plutôt aux représentants de l’État, aux infrastructures et aux récoltes pour faire pression sur les villageois, la récente attaque contre le bus transportant des civils à Songho constitue une nouvelle étape vers l’horreur.

Dans ce contexte dégradé, le redéploiement des troupes françaises avec la fin de l’opération Barkhane représente-t-il une menace supplémentaire pour vos troupes ?   

Cette évolution n’a pas forcément un impact direct sur les pertes enregistrées au sein de nos rangs. L’attaque de cette semaine, dans la région de Mopti, qui a couté la vie à sept Casques bleus, a eu lieu dans un secteur ou Barkhane n’est pas présent. Par contre, la fermeture des bases de Kidal, Tessalit et Tombouctou enlève forcément une bulle de sécurité pour la Minusma, car la présence de Barkhane avait un effet dissuasif certain pour les jihadistes.

Dans le nord, nous conservons le soutien de l’armée française, qui, en cas de menace imminente et sérieuse, peut déployer un appui militaire opérationnel. Mais le délai d’intervention est forcément plus important du fait du redéploiement des troupes vers la zone des “trois frontières”, au centre, notamment en ce qui concerne les interventions terrestres. Ce redéploiement va forcément avoir des conséquences ; les tirs de mortiers indirects pourraient devenir plus fréquents en l’absence des patrouilles de Barkhane.

La fin de la mission Barkhane va occasionner pour nous un travail de sécurisation supplémentaire à effectif constant, puisque notre mandat a été renouvelé en juin sans augmentation. Notre défi aujourd’hui est de rendre notre force plus agile et réactive, notamment dans le déploiement d’hélicoptères de transport et d’attaque. Ce travail, engagé depuis 2019, vise à optimiser nos capacités pour mieux couvrir le territoire et continuer de soutenir les soldats maliens de la manière la plus efficace possible.

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